Archives mensuelles : janvier 2021

Political Mother Unplugged

© boshua

Chorégraphie et musique de Hofesh Shechter, au Théâtre de la Ville/Théâtre des Abbesses.

C’est en 2008 que le danseur chorégraphe Hofesh Shechter fonde sa compagnie, après s’être installé à Londres quelques années auparavant. Sa première chorégraphie, Fragments, date de 2002. Il a été formé à l’Académie de danse et de musique de Jérusalem, a ensuite dansé au sein de la Batsheva Dance Company, a travaillé avec les chorégraphes Wim Vandekeybus, Paul Selwyn-Norton et Tero Saarinen. Très tôt, adolescent, la danse folklorique l’attirait.

La pièce, Political Mother Unplugged, qu’il présente au Théâtre de la Ville, aujourd’hui par écran partagé, fête ses dix ans et n’a cessé d’évoluer. Cette nouvelle version est présentée par sa Compagnie Junior, dans un Théâtre de la Ville solidaire et généreux, vidé de son public mais non de sa substance. Les jeunes danseurs de la Compagnie ont entre vingt-et-un et vingt-cinq ans et viennent de différents pays – États-Unis, France, Grande Bretagne, Singapour, Taïwan – C’est pour eux une plateforme de lancement dans la carrière. Chaque année depuis dix ans, la Hofesh Shechter Company est invitée au Théâtre de la Ville et présente ses spectacles. Uprising et In your rooms furent les premiers, en 2010. Hofesh Shechter signe aujourd’hui Political Mother Unplugged en sa nouvelle version, en tant que chorégraphe et compositeur de la partition musicale. Il est en effet également musicien, a appris et pratiqué les percussions et avait hésité entre les deux disciplines. La musique qui accompagne ses spectacles est habituellement jouée en live, des images (de Shay Hamias) viennent ici combler le vide de l’absence des musiciens.

Le mot Political contenu dans le titre de la pièce, Political Mother Unplugged, a ici son importance. Des images vidéo suggèrent et esquissent en des dessins brouillés quelques figures peu fréquentables et l’allusion à une mère-patrie incertaine. La première scène chorégraphique montre un samouraï qui se fait hara-kiri, seul en scène. On est entre le politique, le militaire, la transe et la déliquescence, entre la destruction et la folie. Les séquences se suivent, rythmées par des moments musicaux forts où alternent le collectif, les duos, trios, et autres configurations, mais le collectif domine. La lumière alterne de même entre semi-obscurité et éclairage cru, agressif parfois. Les couleurs des costumes sont hétérogènes, de l’ocre au rose foncé ou à l’orange, short, robe ou pantalon. Rondes, sauts, ligne, fête, le spectacle déborde d’énergie comme un volcan qui gronde. On est entre la fin atomique, l’adoration au soleil, le magma du centre de la terre, dans des spasmes et des secousses en dérapage contrôlé.

Il y a beaucoup de fougue et sur l’écran les images d’un tyran-pantin qui hurle, porteur de tous les totalitarismes. La dramatisation nous mène de mort à résurrection et les éléments se déchaînent. Tout à coup une note, unique, continue, suspend le mouvement bientôt reprise par les violons. Plus tard les danseurs sortent, hagards. Est-on dans un camp ou dans un asile ? Le plateau se vide. Une mélodie reprend. Les dix interprètent s’avancent, face au public, bras en l’air, en réponse à celui qui, sur écran, les menace de son arme. Un dialogue s’engage avec l’image, les danseurs sont en fondu enchaîné avec elle, dans tous les sens du terme. C’est la force du collectif. On voit peu leurs visages, ils sont souvent dos public, face à l’écran. Qui tire sur eux ? Déflagration, désintégration, anomie entourent le samouraï de retour, démultiplié en quatre figures, couleur gris acier.

Les moments crus et agressifs où une armée se rapproche alternent avec d’autres, méditatifs et oniriques, avant que les rayons d’un soleil cruel n’aveuglent le public et que tout à nouveau disjoncte et se délite. Des tours de cour, image de captivité, des accélérations décélérations, des passages de relais spontanés, une lutte contre l’invisible. La douceur des violons tout-à-coup apporte son réconfort et son lyrisme sous une lune blanche et brillante avant que ne reviennent des tremblements sourds et le rythme d’un tambour au loin, comme un cœur qui bat. Certains danseurs se suspendent, d’autres courent, d’autres tressaillent et s’agitent. Des dessins aux contours blancs s’écrivent sur un tableau noir. La figure du tyran revient en un flux et un reflux, comme un cauchemar, accompagné de cris fauves.

Political Mother Unplugged ressemble à un conte philosophique et une histoire d’aujourd’hui. Les danseurs se remettent en mouvement, sur un rythme lancinant avant que ne monte une psalmodie et que se superposent des mélodies, avant qu’une ronde ne se forme. Where there is pressure there is folk dance… L’un danse, tous regardent, avant de disparaître. Une lumière crue comme en surexposition, surgit. La fin s’étire, une voix passe sur un air de balade, suivie de quelques notes de saxo. Retour sur le danseur samouraï qui ferme le spectacle – I really don’t lie/Je ne sais pas mentir – jusqu’à ce que l’image s’éteigne et que les danseurs se figent. La troupe salue devant une salle vide, sans applaudissements ni remerciements. Ils ont du mérite d’autant, félicitons-les chaleureusement. Bonjour tristesse !

Brigitte Rémer, le 15 janvier 2021

Avec : Jack Butler, Evelyn Hart, Evelien Jansen, Niek Wagenaar, Rosalia Panepinto, Jill Goh Su-Jen, Chieh-Hann Chang, Charles Heinrich, Marion de Charnacé, Jared Brown.

Chorégraphie et musique Hofesh Shechter – lumières originales Lee Curran – costumes originaux Merle Hensel – projection vidéo Shay Hamias – collaboration musicale Nell Catchpole et Yaron Engler – arrangements percussion Hofesh Shechter et Yaron Engler – musiques additionnelles Jean-Sébastien Bach, Cliff Martinez, Joni Mitchell, Giuseppe Verdi.

Vu en direct sur www.theatredelaville.com